Greendock, le mensonge qui coûtait 150 millions

Le projet d’entrepôt sur les berges de la Seine s’inscrit dans la lignée des Grands Projets Inutiles et s’avère être un crime à l’encontre de la biodiversité, de la santé publique et de l’environnement.

En bref :
Le monstre s’appelle Greendock. Ce projet de plateforme logistique est co-mené par le promoteur Goodman et par Haropa Port, lesquels ont la fâcheuse tendance de prétendre agir en tenant compte des impératifs écologiques et environnementaux. Rétention d‘informations, jargonnage débilisant, mépris des conditions d’existence de la biodiversité : le projet Greendock est une définition du greenwashing. En réalité, c’est un chantier écocide qui bloque les initiatives de la Seine-Saint-Denis et qui menace (plus que sérieusement) la zone ornithologique d’intérêt majeur, « Natura 2000 ».

C’est un site qui s’étend sur 600 mètres de long pour 35 mètres de haut, sur un terrain en friche des bords de Seine, du côté de Gennevilliers. « Décroissance, vraiment ? » , le projet se situe à mi-chemin entre grand projet inutile et consumérisme éhonté, à contre-courant donc des impératifs environnementaux auxquels toustes devrait se soumettre. Ce n’est qu’affaire de routine  pour le promoteur Goodman, grand vainqueur de cet appel à projets lancé par Haropa Port, et qui nous a notamment livré en moins de 11 mois (délai bien court qui laisse présager des conditions de travail des ouvriers) un entrepôt pour Amazon dans les Hauts-de-France, scellant une formidable entente entre gros pollueur et… gros pollueur! L’envergure de ce nouvel entrepôt de logistique, qui devrait accueillir en son sein près de 16 entreprises, n’a d’égal que son recours au greenwashing, dont il faut bien reconnaître qu’il illustre parfaitement la définition.

 

1. Greenwashing : décortiquer le mensonge

Tout commence par un nom de baptême, en l’occurrence « Greendock », comme s’il suffisait à verdir la chose. S’ensuit une série d’arguments en faveur de l’environnement, qui rendrait le projet prétendument « éco-compatible » ou -rendons grâce au vocabulaire du promoteur- « écolo-compatible ». L’hypocrisie profonde du groupe Goodman pour l’environnement réside notamment en ce souhait : la compatibilité entre un projet immobilier et les militant·es écolos ; au lieu de souhaiter la compatibilité entre ce même projet et le maintien de l’environnement. Non content de se tromper de sujet, le groupe Goodman et Haropa Port tentent de tromper les populations, et surfent avec brio sur un vocable pseudo-vert, allant jusqu’à définir la plateforme d’« incubateur d’innovations pour la logistique de demain », tentant, par cette expression accrocheuse (comme si cette formule ampoulée garantissait…), d’en forcer le caractère écologique et « responsable ». Tentant d’amadouer les populations et les collectifs environnementaux, ils mettent également l’accent sur le fret fluvial, manière de faire circuler les marchandises sur des zones qui ne sont pas encombrées, mais qui représenterait uniquement 15 % (échelle haute) de la totalité du flux. Pour les 85 % restants, les camions seront à l’honneur, soit des milliers de ces derniers sur des tonnes et des tonnes de routes (déjà construites et à construire).  

Le rachat de leur conscience passe également par deux autres « argu-mensonges »: ils promettent un mur végétal et un toit à panneaux photovoltaïques. Ces deux arguments  témoignent à leur tour de la méconnaissance de la biodiversité et de ses conditions d’existence, lesquelles ne sauraient prendre forme sur les murs d’un entrepôt industriel implanté au milieu d’un intense trafic de camions qui tourneraient 24h/24 ; dans une atmosphère aussi polluée que polluante. Quant au solaire, qui ne saurait suffire à faire tourner l’intégralité de la plateforme, le groupe Goodman s’est bien passé de se poser la question en oubliant que Natura 2000 ne jouira plus du soleil en hiver quand la zone sera plongée dans l’ombre monstrueuse de l’entrepôt à venir.

 

2. Un projet assassin à contre-courant

Les sites  « Natura 2000 » sont précieux : ils visent à protéger et à prendre en compte les enjeux liés à la biodiversité, particulièrement dans ses rapports avec l’activité humaine – et souvent industrielle. Le site dont il est question ici se trouve sur l’Île Saint-Louis, dont un tiers est classé site « Natura 2000 ». C’est une zone non-anthropique qui abrite des espèces rares, voire menacées, d’oiseaux, et prend donc le nom de réserve ornithologique d’intérêt majeur. On y retrouve entre autres des Martin-Pêcheurs d’Europe, des Faucons Crécerelle, et des Grands Cormorans . Chaque année, ce sont des centaines de ces derniers qui y trouvent refuge pour l’hivernation. Bientôt, ils seront attaqués par une luminosité artificielle nocive, par la pollution sonore, par un air encore plus pollué, par l’ombre de Greendock qui leur cachera ou les coupera du soleil hivernal. Alarmant, donc. L’écosystème de cette réserve ornithologique est mis à mal, tout comme l’autre grand projet initial des mairies de l’Île Saint-Louis : la renaturation de ses berges.
Ce qu’implique, presque directement, Greendock, c’est l’abandon de ce projet à long terme. Effectuant une habile queue de poisson, il empêche le projet de renaturation au long cours des berges de la Seine, projet sur lequel travaillent ensemble les mairies d’Epinay-sur-Seine et de l’Ile-Saint-Denis, qui était même porté par le directeur du port en 2015, et qui ne verra jamais le jour.

 

3. Désastreuse illustration du gigantisme capitaliste

Les questions soulevées par le projet Greendock relèvent évidemment de modes de pensée  qui dépassent les strictes analyses du territoire de la Seine-Saint-Denis et des répercussions, d’une telle construction sur celui-ci. Ce qui est alarmant, c’est ce dont il est le symptôme : (il révèle une incapacité en d’autres termes que) des gens incapables de penser en d’autres termes que « productivisme » et « consumérisme ». En est une autre preuve le « Manifeste pour un territoire industriel et productif », dont le groupe Goodman est l’un des signataires. Ce manifeste ne tient aucunement compte de l’état déplorable d’une planète ravagée – et ces mots ne sont pas ceux d’une envolée lyrique ou d’une quelconque licence poétique. Ce manifeste vise à renforcer les relations, déjà étroites, entre les secteurs publics et les secteurs privés, à créer des emplois dans le cadre de la consommation et de l’industrialisation. Bref, c’est un manifeste qui se place en plein cœur d’un modèle désuet qui ne fait pas ses preuves, s’inscrivant dans des projections court-termistes typiques d’un capitalisme à combattre. Le recours de ces grandes entreprises et gros promoteurs au greenwashing a pour unique objectif de réconforter les « bobios » dans leurs maigres états d’âme environnementaux, de penser limiter les levées de boucliers, de faire l’affaire, enfin, de gouvernances qui ne tiennent plus qu’à leur gigantisme. Notre rôle est de nous tenir informé·es, de travailler sur le moindre détail afin d’éviter d’être dupes. Le capitalisme, et toutes les infrastructures qu’il implique, est un modèle écocide.

 

En conclusion, il semble bien compliqué de nous réjouir. Greendock n’est qu’un parmi tant d’autres, et l’utilisation permanente d’un vocabulaire pseudo-vert permet aux patrons, promoteurs, chefs de tous les secteurs, de détruire les rares espaces que l’on maintient verts – a fortiori dans les banlieues. Ces territoires sont d’autant plus impactés par les énormes chantiers qu’ils sont à peine considérés comme des villes par ces promoteurs. Tout juste des terrains vagues, des friches à polluer, des habitant·es à contaminer, une biodiversité à supprimer, un eco-système à malmener. Les irrésistibles, dans ce cas précis, sont les collectifs, les associations, les mouvements, qui prennent à leur charge la diffusion d’information, l’organisation de week-ends (cf : week-end de mobilisation contre Greendock les 24/25/26 mai 2024), la sensibilisation. Ils nous permettent de n’être pas dupes !

 

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