Dans son dernier rapport annuel, la Cour des comptes tacle la gestion des agences de l’eau, qui ne font pas respecter le principe de pollueur-payeur. Les contribuables paient la majorité des redevances eau, à la place des agriculteurs et industriels.
Le pollueur-payeur en France, une légende urbaine ? C’est du moins ce qui ressort du dernier rapport annuel de la Cour des comptes, publié le 11 février, qui critique la gestion des six agences de l’eau nationales. Ces organismes publics collectent les redevances eau et les redistribuent sous forme d’aides (environ 2 milliards d’euros par an). Or le fameux principe pollueur-payeur – dont l’application est censée être une des lignes directrices de la politique nationale – semble ne pas exister au sein des agences de l’eau, montrent les magistrats de la Cour dans leur rapport. « Ceux dont l’activité est à l’origine des pollutions graves ne sont pas sanctionnés en proportion des dégâts qu’ils provoquent ». En clair, les pollueurs ne paient pas.
Pollutions agricoles ? L’usager domestique règle la note
87% des redevances touchées par les agences de l’eau proviennent des usagers domestiques ou assimilés : vous et moi, mais aussi restaurants, cantines, pressings, dentistes, coiffeurs, etc. Certes, il faut bien que le citoyen lambda paie une partie de la collecte et du traitement des eaux usées, afin de pouvoir profiter de ce bien commun qu’est l’eau (boire au robinet sans tomber malade, prendre sa douche et faire sa vaisselle sans coupure d’eau, se baigner l’esprit tranquille dans une rivière ardéchoise, etc.). Mais quid des plus gros pollueurs, à savoir les agriculteurs et les industriels ? Ceux-ci sont à l’origine de nitrates, pesticides et autres boues rouges, qui polluent les cours d’eau et les zones humides et qu’il faut bien renaturer, dépolluer et protéger. Ne serait-il pas normal qu’ils paient pour tout ce qu’ils polluent ? Sachant que la dépollution des excédents d’agriculture et d’élevage dissous dans l’eau, en particulier, coûterait 54 milliards d’euros par an, selon un rapport du commissariat général au développement durable rendu public en 2011. Or, la Cour pointe le fait que les agriculteurs paient des redevances « nettement inférieures au regard des pollutions causées par les exploitations ». La preuve: agriculteurs et industriels ne contribuent qu’à hauteur de 6% et 7%, respectivement, aux redevances touchées par les agences de l’eau. C’est donc Bibi qui règle le gros des factures pour nettoyer les algues vertes dues aux nitrates et lisiers des porcheries bretonnes, dépolluer les eaux où sont déversés des sulfates et autres joyeusetés toxiques.
Prenons le bassin Loire-Bretagne, par exemple. Les redevances venant des agriculteurs locaux ne représentaient en 2013 que 10% du montant total des redevances, dont 0.6% seulement au titre de l’élevage. C’est peu, relève la Cour, pour le bassin le plus concerné en France par la pollution aux nitrates. Globalement, le taux de la redevance pour pollutions diffuses d’origine agricole « n’était que de 3 millions d’euros en 2013 alors que le seul coût du nettoyage des algues vertes sur le littoral est estimé au minimum à 30 millions d’euros par an ». Autre bizarrerie: cette redevance pour pollutions diffuses, répercutée (à hauteur de 5 à 6% seulement) sur le prix des phytosanitaires, ne concerne pas les engrais azotés… alors qu’ils sont une cause majeure de pollution. Pendant ce temps, la Cour européenne de justice menace toujours la France de régler une amende de plusieurs millions d’euros, pour non-respect de la directive nitrates et mollesse de son action.
Monopole des agriculteurs conventionnels dans les agences
Les aides versées par les agences aussi sont critiquées par la Cour. Alors qu’il faudrait privilégier le bon état des milieux aquatiques (protection des aires de captage, lutte contre les pollutions agricoles, etc.), les agences de l’eau continuent de flécher la majorité de leurs aides vers la mise aux normes des stations d’épuration et la collecte et l’assainissement de l’eau. Cerise sur le gâteau, elles attribuent des deniers publics à des actions « peu justifiées » (ex : opérations de com’), des organismes non éligibles (ex : Eurodisney) ou devant être financés par l’État (ex : Inra, Onema, Anses, etc.), ou encore des associations dont certains dirigeants sont aussi administrateurs.
Pourquoi ces iniquités? La Cour met en cause la gouvernance des agences, où elle voit de nombreux « conflits d’intérêts », doublés d’une faible représentativité de l’État dans les conseils d’administration et comités de bassins. Dans ces assemblées, les sièges réservés aux usagers sont occupés surtout par des industriels et exploitants agricoles. Parmi ces derniers, la Cour note un quasi-monopole de la FNSEA (fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles [NDLR : conventionnels, surtout]), y compris dans les bassins à forte pollution agricole tels qu’Adour-Garonne et Loire-Bretagne. Une organisation des agences de l’eau ubuesque, qui explique non seulement la prédominance d’ « intérêts catégoriels dans les bassins » sur l’intérêt général, mais aussi le manque de transparence quant aux bénéficiaires des aides et à leurs montants.
La bio pour faire des économies
Améliorer la transparence des agences de l’eau et rétablir le principe du pollueur-payer passera, comme le recommande la Cour, par un rôle accru de l’État en leur sein. Mais pour éviter des amendes de millions d’euros, des dépenses de dépollution faramineuses et majoritairement payées par les consommateurs, il serait temps que la France passe en mode prévention. Par exemple, en attribuant une partie de la taxe pour pollutions diffuses (à augmenter, comme le propose la Cour) au développement de l’agriculture biologique. Sans pesticides ni engrais chimiques de synthèse, la bio serait un moyen de faire des économies, tout en préservant le milieu naturel qui nous fait vivre.