Le club parlementaire Objectif bio a tenu un colloque le 12 novembre au Sénat. Des agriculteurs, des élus, un représentant de Sodexo et un spécialiste de la nutrition ont croisé leurs regards sur la bio et l’emploi (suite de la première partie).
1) Le bilan de Christophe Ehrhart, viticulteur biodynamiste en Alsace. « La viticulture bio emploie deux fois plus qu’en conventionnel. Pour vendanger nos 26 ha, il faut 7200 heures de travail, sachant que celui-ci se fait surtout à la main. La bio est un investissement, non seulement en termes d’emplois, mais aussi en termes de rendements : on ne peut pas avoir des vins de qualité en étant au rendement maximum chaque année».
2) L’alerte donnée par Guillaume Riou, agriculteur bio, président d’Agrobio Poitou-Charentes. « Les données récentes sur la pollution de l’eau due aux résidus agricoles sont alarmantes : les coûts de traitement des excédents de l’agriculture et de l’élevage dans l’eau dépassent les 54 milliards d’euros par an, les coûts d’élimination d’un kilogramme de nitrates sont de 70 euros, ceux d’un kilo de pesticides, de 60 000 euros [voir article de Bio Consom’acteurs: Les coûts cachés des nitrates et pesticides d’origine agricole]. On sait aussi depuis quelques mois que 93% des cours d’eau de surface et souterrains sont contaminés aux pesticides. Sur les 34 000 forages d’eau existant en France, 4000 ferment chaque année, à cause de la pollution. C’est énorme. Or d’autres rapports montrent que la bio est un outil de reconquête de la qualité de l’eau, dès que l’on atteint 20% de surface en bio. Les politiques publiques doivent donc, premièrement, inciter les agriculteurs à passer en bio, comme le fait le programme Re-sources en Poitou-Charentes, en partenariat avec l’Agence de l’eau et les chambres d’agriculture. Deuxièmement, s’attacher à structurer les filières. Enfin, informer les agriculteurs sur l’impact des pesticides sur leur santé. Je pense au rapport de l’Inserm de juin dernier, très clair à ce sujet. »
3) L’expérience de Jacques Lançon, adjoint au maire de Lons-le-Saunier : « Dans les années 80, les concentrations de nitrates et pesticides dans nos zones de captage d’eau ont énormément augmenté : celle en nitrates dépassait les 30 milligrammes par litre, ce qui est supérieur aux limites pour les nourrissons. La mairie de Lons-le-Saunier a alors considéré qu’elle devait réagir. Elle s’est rapprochée des agriculteurs concernés par les zones de captage d’eau, leur proposant des conventions de partenariat. Au début ces derniers ont répondu qu’ils n’étaient pas les seuls pollueurs. Mais ils ont finalement accepté de changer leurs pratiques, sur 220 ha, en échange d’indemnisations. Le maïs à ensilage a été arrêté, les sols couverts durant l’hiver. Les pics de pesticides ont ainsi été supprimés petit à petit. On est passé à 20-25 mg /L de nitrates dans les années 90. Aujourd’hui nous sommes en-dessous de 30 mg/L. Notre objectif : atteindre 1 mg /L et zéro pesticides. On propose donc depuis les années 2000 de nouvelles conventions avec des agriculteurs, pour qu’ils passent en bio. Nous leur garantissons un prix et un volume d’achat, pour la restauration collective locale : écoles, hôpital, conseil général. Cette vente en circuit court a permis de stabiliser les prix du blé, notamment durant les grosses fluctuations des cours en 2008. Aujourd’hui, 200 hectares sont en bio, sur les 920 ha du périmètre de la zone de captage. Il faut du courage politique pour mener des actions comme celles-ci, mais elles en valent la peine ».
4) L’initiative des biocabas par Norabio: Cette coopérative regroupe 110 producteurs maraîchers et céréaliers en bio, installés dans le Nord-Pas-de-Calais et en Picardie. Elle commercialise ses produits via des circuits longs, mais aussi courts: magasins bio, plateformes de distribution, restauration collective et paniers bio – les biocabas, qui sont alimentés par 25 petits producteurs adhérents de Norabio. Ce sont des gens en insertion qui conçoivent et livrent les paniers aux consommateurs, sur une centaine de points relais de Lille. Aujourd’hui 35 500 paniers sont livrés chaque année, dont 2 500 paniers dits solidaires – c’est-à-dire vendus moitié moins chers aux personnes en difficulté financière -le conseil général prend en charge l’autre moitié du prix. En échange de cette réduction de prix du panier, les consommateurs sont invités à participer à des ateliers cuisine, des repas conviviaux, des visites de fermes, etc. « On se demande comment on ferait si le conseil général se désengageait », reconnaît Alexandre Cazé, paysan bio et cogérant de Norabio.
5) L’analyse de Denis Lairon, directeur de recherche à l’Inserm et membre du comité de soutien de Bio Consom’acteurs, suite à la publication des premiers résultats de l’étude Bio Nutrinet santé dans la revue Plos One : « Les consommateurs réguliers de bio ont un niveau d’éducation plus élevé que la moyenne nationale, mais des revenus pas supérieurs à la moyenne. Ils ont un meilleur profil alimentaire, plus en adéquation avec les recommandations institutionnelles (plan national nutrition santé, société américaine de nutrition). Ils présentent des probabilités d’être en surpoids ou obèses beaucoup plus faibles que la moyenne, et s’alimentent de manière plus conformes au concept d’alimentation durable défini par la FAO (en termes de nutrition, d’intrants et d’impacts environnemental et sanitaire ».