Les liens de l’EFSA avec l’industrie une nouvelle fois remis sur le tapis

Une organisation non gouvernementale montre que les experts scientifiques de l’autorité européenne en charge de l’évaluation des risques de nos aliments sont toujours tiraillés par des conflits d’intérêts commerciaux, avec des industriels de l’agroalimentaire.

La crédibilité est dure à gagner, pour l’autorité européenne pour la sécurité des aliments (Efsa). Critiquée ces dernières années par des ONG et certains députés (Corinne Lepage, Michèle Rivasi, José Bové) au sujet de son indépendance (voir article de Bio Consom’acteurs, OGM: ce qu’il faut retenir de l’étude Séralini), l’agence chargée d’évaluer les risques pour la santé des aliments que nous sommes susceptibles d’avaler, avait réagi en mars 2012. Elle annonçait alors une réforme des règles sur la prévention des conflits d’intérêts. Les résultats de cette nouvelle politique peuvent surprendre. Plus de la moitié des 209 experts scientifiques de l’agence auraient au moins un lien, direct ou indirect, avec les industries qu’ils sont censés réguler. C’est l’un des résultats d’une étude minutieuse réalisée par l’association Corporate Europe Observatory (CEO), une ONG d’information sur le lobbying industriel en Europe,

Selon le CEO, l’ensemble des dix panels scientifiques de l’Efsa -sauf un, seraient dominés par des experts avec conflit d’intérêt. Tous les présidents des panels scientifiques sauf deux, et 14 vice-présidents sur 21 auraient des conflits d’intérêt. La palme étant détenue par le panel « Produits diététiques, nutrition et allergies », dont 17 parmi ses 20 membres totaliseraient 113 conflits d’intérêt. Dans l’ensemble des panels, il y aurait dix experts ayant plus de 10 conflits d’intérêts chacun. Un membre du panel « Additifs et produits ou substances utilisés dans la nourriture animale » entretiendrait 24 conflits d’intérêts à lui tout seul. En tout, le CEO aurait comptabilité 460 conflits d’intérêts ! L’Efsa a beau avoir renouvelé les membres de huit parmi ses dix panels en 2012, ces résultats posent question quant à la crédibilité et la justesse de ses avis. Le CEO les explique en plusieurs points.

La plus grosse lacune de l’Efsa résiderait dans l’étroitesse des règles d’indépendance qu’elle se donne. Selon ces dernières, un expert ayant des liens commerciaux avec un secteur lambda peut être accepté dans un des panels… dans la mesure où son intérêt financier n’a pas de rapport avec le thème de ce panel. On arrive donc à des conflits d’intérêt qui ne sont pas considérés comme tels par l’Efsa. Sont ainsi tolérées des collaborations d’experts avec l’International life sciences institute (Ilsi), un think tank d’industriels dont Monsanto, Nestlé, Unilever et Syngenta (entre autres) font partie. Cette lacune induit aussi le fait qu’un expert ayant eu récemment des activités avec un industriel, n’est pas considéré comme un problème. Résultat : plus de 30 scientifiques ayant collaboré par le passé avec l’Ilsi, même récemment, seraient experts pour l’Efsa. C’est le cas par exemple de Juliane Kleiner, directrice de la stratégie scientifique de l’Efsa, « connue pour avoir travaillé pendant sept ans l’Ilsi » selon Inf’OGM. Monsanto un jour, siège à l’Efsa le lendemain ? Ce n’est pas un problème pour l’autorité qui donne son avis sur les OGM et autres bisphénols.  
    
La deuxième lacune relevée par le CEO est que l’indépendance (ou non) de l’Efsa découle aujourd’hui uniquement des déclarations d’intérêts données par les experts eux-mêmes. Rien ne serait vérifié par l’institution européenne : le CV du scientifique suffit. Au final, sept présidents et trois vice-présidents de panels scientifiques n’auraient pas dû être acceptés, d’après le CEO, si l’Efsa avait pris la peine de vérifier leurs dires.

Les dirigeants de l’Efsa auraient aussi une perception déformée de la réalité des conflits d’intérêt. Leur idée de la chose ressemblerait à de sombres histoires de corruption et de taupes malveillantes. Alors qu’en vrai, les conflits d’intérêt sont plus subtils qu’un film de Scorsese. Comme le rappelle le CEO,  « l’influence de l’industrie s’exerce plutôt via des processus de tissage de relations à long terme, structurées, qui se construisent au sein même de la communauté scientifique, à travers la culture, la dynamique collective, les paradigmes en cours et la pensée de groupe, où il devient naturel de « penser industrie », plutôt que via la manipulation d’un seul scientifique […] ».

Enfin, l’indépendance de l’Efsa sera difficile à atteindre tant que la tâche des scientifiques qui y travaillent restera ingrate, d’après l’ONG. Non seulement ces derniers ne sont pas rémunérés pour leur travail d’expert à l’Efsa, mais aussi n’y mènent-ils pas leurs propres recherches sur les produits alimentaires: ils ne font que donner des avis sur des recherches menées par les entreprises. Ajoutez-y le secret industriel, et ces experts ne peuvent aucunement faire reconnaître leur travail au sein de la communauté scientifique. Difficile de trouver des experts jeunes, indépendants et désintéressés dans ces conditions.

Rapport « Unhappy meal » du CEO
Rapport « Conflits indigestes » du CEO et de Earth open source, traduit sur le site du Réseau environnement santé
 

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