Dans son numéro de janvier 2013, la revue 60 millions de consommateurs a consacré un dossier à la bio: « Produits bio, où acheter moins cher ». Il y est surtout question des prix sur les étiquettes en rayon. Pas de mention des coûts environnementaux, ni des coûts sanitaires des pesticides, ni des marges tirées par les agriculteurs lorsqu’ils travaillent pour la grande distribution, et encore moins de la pression sur les prix exercée par cette dernière sur ses fournisseurs. Aucune remise en cause du mode de consommation actuel, basé sur les protéines animales, les produits transformés, les fruits et légumes hors saison, etc., n’intervient dans ce dossier, aussi superficiel que trompeur pour les lecteurs non avertis.
Voici la réponse de Claude Aubert, agronome, fondateur des éditions Terre Vivante, de Denis Lairon, nutritionniste – tous deux membres du comité de soutien de Bio Consom’acteurs – , et d’André Lefebvre, conseiller en agriculture bio. Pour vous donner du grain à moudre sur la question de la bio en grande surface, voici également en pièce jointe et en lien un article du dernier numéro de Kaizen, bimestriel porté par le mouvement des Colibris: « Peut-on changer le système de l’intérieur? L’exemple du bio en supermarché« . Si les grandes surfaces autorisent l’accès d’un grand nombre de personnes à une bio moins chère, elles ne permettent pas un changement en profondeur du modèle de société.
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« Bonjour,
Nous avons lu avec intérêt votre enquête sur les produits bio. La comparaison des prix est évidemment intéressante, mais l’affirmation qu’il n’y a « pas de bénéfice pour la santé », comme le dit un de vos intertitres, ne repose sur rien de solide : certes, il n’y a eu que peu d’études sur les consommateurs bio, mais celles (3) sur l’allergie montrent un effet protecteur. Et ne parlons pas de l’étude récente de l’université de Stanford, dont les résultats ont été mal interprétés par les médias, comme nous l’avons montré, et qui minore le problème des pesticides. L’allusion à la récente fraude sur les céréales roumaines et au fait que les produits ne sont pas totalement exempts de polluants contribue à convaincre le consommateur que l’intérêt du bio se limite à son impact favorable sur l’environnement. Opinion confortée par l’affirmation de Mr Corpet, chercheur à l’INRA, qu’« aucune étude sérieuse ne démontre qu’un produit conventionnel est plus toxique qu’un produit bio ». Et alors ? « ne pas savoir » ne peut en aucun cas être sérieusement traduit par « il n’y pas d’effet ». Or, comme nous l’avons montré dans un livre qui vient de paraître*, les aliments bio sont meilleurs pour la santé que les conventionnels pour au moins trois raisons :
– leur valeur nutritionnelle est supérieure au moins pour les produits laitiers (teneur en oméga 3 nettement plus élevée) et pour un certains nombre de fruits et de légumes (teneur en matière sèche, vitamine C et en antioxydants plus élevée),
– laisser entendre que les résidus de pesticides dans les produits conventionnels n’ont pas d’impact négatif sur la santé, c’est ne pas tenir compte des très nombreuses publications qui concluent le contraire** vis à vis de nombreuses pathologies et ignorer que l’établissement des DJA a été faite sans prendre en compte les effets à long terme de très faibles doses de certains pesticides qui sont des perturbateurs endocriniens, effets qu’on ne peut plus contester. Sans parler des impacts négatifs, établis depuis longtemps, sur la santé des agriculteurs et de leurs familles. Ce qui autorise à se demander s’il est normal que nous continuions à consommer des aliments dont la production peut menacer la santé de ceux qui les produisent.
Et si on peut trouver des traces très faibles de certains résidus de pesticides dans des aliments certifiés bio (environ 2-4% des échantillons selon les études internationales), la cause principale en est la pollution généralisée de notre écosystème par ces molécules utilisées dans l’agriculture conventionnelle, alors que les agriculteurs bio respectent un cahier des charge leur en interdisant l’emploi.
– les effets négatifs sur l’environnement, mais aussi sur la santé, des énormes excès d’azote (plus d’un million de tonne par an, soit près de la moitié de l’azote de synthèse épandu) liés à l’utilisation massive d’engrais azotés de synthèse et à la concentration excessive d’animaux d’élevage dans certaines régions, ne peuvent être niés. Leur coût pour la santé a été récemment estimé entre 40 et 90 milliards d’euros par an pour l’Europe dans un récent rapport rédigés par 300 experts***.
– Continuer à tenir pour négligeables toutes ces données nous semble une position aujourd’hui intenable et nous attendons une meilleure connaissance des sujets traités de la part d’une revue comme « 60 millions de consommateurs » et de scientifiques d’institutions respectées« .
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* Manger bio, c’est mieux, nouvelles preuves scientifiques à l’appui, par Claude Aubert, Denis Lairon et André Lefebvre, Ed. Terre Vivante.
** L’essentiel des références récentes figure sur le site dédié au livre susnommé : www.mangerbiocestmieux.fr
*** The European Nitrogen Assessment, Cambridge University Press, 2011
Claude Aubert, ingénieur agronome
Denis Lairon, directeur de recherche émérite à l’INSERM
André Lefebvre, ingénieur en agriculture