Le colloque La Terre en partage s’est tenu à Brive-la-Gaillarde du 27 au 30 septembre dernier. Parmi les intervenants, Lydia et Claude Bourguignon, spécialistes des sols, sont revenus sur les causes de destruction des sols dans le monde et les moyens de restauration de ces derniers. Petit résumé.
L’étude récente montrant les effets toxiques d’un OGM et de son pesticide associé sur la santé de rats repose sur la table une fois de plus la question : comment nourrir le monde ? Durant le colloque La Terre en partage, qui a réuni experts et grand public à Brive-la-Gaillarde fin septembre, ont émergé plusieurs moyens. A commencer par l’adoption de pratiques agricoles respectueuses de l’objet même de ce colloque, celle-là même qui nous nourrit : la Terre. Lydia et Claude Bourguignon, consultants indépendants spécialistes des sols, ont expliqué comment restaurer nos sols abîmés par un siècle d’agriculture intensive. Grâce à des analyses et des observations de terrain, le couple et leur fils mettent au point des techniques pour restaurer les terrains d’agriculteurs, vignerons, propriétaires de terrains sportifs, maraîchers, collectivités, etc. Selon eux – et bien d’autres avant eux, il ne faut jamais laisser le sol nu et le travailler le moins possible. Pourquoi ? Parce que le sol a une structure physique, une composition chimique. Et c’est l’habitat d’une foule de petits êtres vivants, qui nourrissent les plantes.
Préparer le couscous
Collemboles, acariens, mille-pattes, cloportes, fourmis, vers de terre divers et variés, bactéries, champignons… Voilà les cuisiniers du «couscous», dit Claude Bourguignon, cet agréable tapis moelleux que l’on peut sentir sous ses pieds lors d’une balade en forêt. Ce couscous, c’est l’humus. Les invertébrés et micro-organismes du sol l’ont fabriqué en mangeant tous les déchets organiques qui tombent à sa surface (feuilles et branches mortes, excréments, petits animaux morts, etc.). La structure grumeleuse est due à leurs déplacements incessants et à leurs propres crottes. Leurs va-et-vient aérent le sol en permanence. Cette faune est encore mal connue, rappellent les deux consultants. «On ne connaît que 5% des organismes vivant dans le sol actuellement», estime Claude Bourguignon. Grâce à leurs activités, le sol renferme des éléments assimilables par la plante : azote, carbone, phosphore, potassium, etc. Il retient aussi l’eau, l’oxygène… Le sol dépend donc de cette vie. «Un hectare de sol vivant renferme autant d’énergie – fabriquée par les microbes- que 1000 tonnes d’êtres humains», assurent les Bourguignon. Autant dire qu’en détruisant la vie du sol avec moult produits chimiques et autres labours profonds, on détruit un gisement d’énergie.
«En 6000 ans, quelque 2 milliards d’hectares de déserts se sont créés, dont un milliard au cours du siècle dernier», alerte Lydia Bourguignon. L’érosion, phénomène naturel d’usure et de dégradation des sols, est un phénomène naturel. Mais la déforestation intensive, l’ajout abusif d’engrais, de pesticides et les pollutions l’intensifient. Aujourd’hui, selon Lydia Bourguignon, la France perdrait en moyenne 4 millimètres de sol par hectare et par an, soit 40 tonnes/ha/an. Aux Etats-Unis, cette perte peut aller jusqu’à 5 centimètres par hectare chaque année (soit 500 tonnes/ha/an). Or, il faut au moins un siècle pour qu’un centimètre de sol se crée naturellement à partir de la roche-mère. Dans les milieux soumis à une agriculture dépendante des labours et des intrants, le sol se détruit donc plus vite qu’il ne se régénère. Il perd aussi en qualité : sa structure physique et chimique et sa composition biologique changent et s’amenuisent. Les médecins Bourguignon proposent des remèdes.
Protéger le sol de la chaleur et de l’érosion
Premier remède pour un sol abîmé : la matière organique. «L’agriculture a besoin de carbone, pas d’engrais chimiques», assène Claude Bourguignon. Pour apporter ce carbone, on peut cultiver sur du mulch, ou paillis. Cette technique consiste à couvrir le sol avec de la paille, du foin, du compost ou encore des bois raméaux fragmentés. A Madagascar par exemple, on peut ainsi semer du manioc sur un mulch de paille de riz. En se dégradant, ce mulch va nourrir le sol en carbone. Autre avantage: il protège le sol des chocs thermiques. Ce qui évite aux petites bêtes travailleuses (vers de terre, insectes, crustacés, bactéries et autres champignons) d’être littéralement pasteurisées par le soleil, et de continuer leur activité durant l’hiver. Parmi les nombreux autres bienfaits du mulch, citons la limitation du développement des plantes adventices (ou « mauvaises herbes ») ; et le maintien d’une certaine humidité dans le sol, dont les cultures profitent pour pousser.
Autre technique agricole efficace pour protéger un sol et régénérer sa fertilité: le semis direct sous couvert végétal (SDCV). Comme le mulch, le SDCV consiste à couvrir le sol entre deux cultures. Sauf qu’ici, il s’agit de plantes bien enracinées (tournesol, pois, blé, etc.), et non inertes. Les Bourguignon prennent l’exemple d’un champ de blé, dans le Jura, qui a été semé sur un couvert de sorgho. Les avantages : comme pour le mulch, protection thermique, conservation de l’humidité, apport de matière organique. En plus, la culture intercalaire attire toute une faune indispensable à la pollinisation, ou auxiliaire des cultures. L’enracinement permet par ailleurs de stabiliser physiquement les sols, donc de limiter l’érosion.
Mulch et semis direct sous couvert végétal ne sont qu’une toute petite partie des techniques de cette autre approche de l’agriculture, plus holistique, c’est-à-dire qui prend en compte tout l’écosystème et ne se limite pas à l’ajout d’engrais, ni à la destruction systématique des êtres vivants dits nuisibles.
Pour en savoir plus sur ce thème, lire le livre de Jacques Caplat : L’agriculture biologique pour nourrir l’humanité.